Nous vivons dans une société démocratique, ouverte qui a donné le droit à tout le monde de se marier, d’adopter un enfant. Mais notre société est aussi très moralisatrice, moralisante. Chacun doit vivre sa sexualité plus en privé qu’auparavant", selon Gianpaolo Furgiuele.
Source : La Provence

Gianpaolo Furgiuele est psychanalyste et sexologue entre Marseille et Nice. Il est l'auteur de "Sexophobie : chroniques d'une sexualité en crise", sorti au printemps 2024 aux Editions Laborintus. Dans cet essai, ce spécialiste décrypte cette peur et aversion pour la sexualité qu'il perçoit dans tous les aspects de notre société et à tous les âges : des applications de rencontres à notre rapport à la pornographie, en passant pour l'éducation sexuelle. Interview.
La Provence. Qu'appelez-vous la sexophobie ?
Gianpaolo Furgiuele. Il ne s’agit pas d’une pathologie mais d’un phénomène sociétal. La sexophobie, c'est la peur de tout ce qui a un lien à la sexualité, même indirect. La sexualité dans son ensemble pose problème aujourd'hui dans notre société, en France et plus globalement en Europe.
Vous dites que la sexualité est en crise et pourtant, elle est plus présente que jamais dans notre société ?
Aujourd'hui, l’OMS parle beaucoup de santé sexuelle, c’est la reconnaissance, enfin, que la sexualité fait partie intégrante du bien-être des individus. C’est vrai qu’il est beaucoup question de sexualité dans les médias par exemple et qu’il y a aussi de plus en plus de consultations psychologiques sur le sujet. Mais, dans les débats, dans les livres, dans les médias, tout ce qui est en lien avec la sexualité a une valeur négative. La sexualité est abordée au travers des abus sexuels, des viols, de certaines pratiques extrêmes. Il y a aussi de nouvelles injonctions sur de nouvelles pratiques à essayer ou d’autres à abandonner, notamment autour de la pénétration. J’entends certaines militantes féministes qui appellent à l’abandonner alors que c’est une pratique qui plaît à d’autres femmes.
Vous vous questionnez aussi sur les applications de rencontres ?
Ces applications sont un moyen très rapide et efficace de faire des rencontres. Mais les nouvelles générations qui n'ont jamais connu d'autres façons de se rapprocher des autres, pourraient-elles le faire différemment ? Sur les applis, on retrouve toujours les mêmes formules, les mêmes phrases d’accroche, c’est très codifié. Comme la drague dans la rue, celle en boîte de nuit n’existe pour ainsi dire plus. Aujourd’hui c’est un lieu qui a perdu cette fonction primaire de socialisation, on y va pour s’éclater en groupe. Ce n’est pas le cas des saunas dans la communauté gay par exemple. Foucault disait de ces lieux qu’ils sont une expérience plus démocratique, sans différence sociale tout en garantissant l’anonymat des clients. Pour y rentrer, on ne vous demande ni votre nom, ni votre numéro de téléphone, ni aucune autre donnée personnelle. Même la carte bleue n’est pas acceptée pour assurer la confidentialité.
Vous consacrez une grande partie de votre livre à la pornographie, le porno est massivement regardé et tout aussi critiqué, qu’est-ce qu’il incarne ?
Nous vivons dans une société démocratique, ouverte qui a donné le droit à tout le monde de se marier, d’adopter un enfant. Mais notre société est aussi très moralisatrice, moralisante. Chacun doit vivre sa sexualité plus en privé qu’auparavant et la pornographie, en tant que production de matériel sexuel à des fins de diffusion massive, s’oppose à cette vision de la sexualité. Or, les images sur la sexualité, c’est quelque chose qui a toujours existé, de la Grèce antique à Pompéi. La différence, c’est que désormais nous avons la possibilité d’accéder à ce contenu à n’importe quel moment et dans n’importe quelle condition. Beaucoup de recherches sont menées sur la consommation du porno. La dangerosité ne fait pas l'unanimité. On peut consommer dix heures de porno par semaine et aller très bien alors qu’une consommation de cinq heures peut devenir problématique par exemple.

Cette crise de notre rapport à la sexualité a-t-elle une influence sur la manière dont on parle aux enfants et adolescents de ce sujet ?
Je fais quelques interventions dans des lycées. La question de l’éducation sexuelle pose problème, on ne peut montrer un pénis en érection par exemple. Pendant ces séances, il n’est question que de protection contre les IST, MST ou de contraception, d’IVG. Le sujet du plaisir est totalement absent. La sexualité est avant tout perçue comme un danger. Résultat, elle génère une sorte d’anxiété. Je reçois dans mon cabinet des personnes qui ne savent plus comment se lancer. Alors que la sexualité devrait mener à une forme d’épanouissement.
Est-ce que vous voyez une sortie de crise ?
Moi, je suis un peu pessimiste. Les applications par exemple, ont permis à beaucoup de personnes de communiquer, d'échanger énormément, mais aussi de se rencontrer moins qu'auparavant. Je pense qu'on va vers une société encore plus aseptisée. Aujourd’hui, quand on parle de sexualité, on donne des jugements. On accepte socialement une sexualité qui ressemble à la sexualité hétérosexuelle, monogame, bien cadrée. Alors que la sexualité queer par exemple est une révolution : on peut aimer n’importe qui, on peut faire famille comme on le veut.
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